La pointe des Poulains illustre la contradiction apparente que les lieux touristiques tentent de dépasser à un moment de leur évolution: protéger et développer. L’analyse du développement du site, depuis sa mise en tourisme au XIXe siècle jusqu’à sa situation touristique actuelle, permet de mettre en évidence le jeu des acteurs et de leur rapport au lieu, dans sa patrimonialisation à la fin du XXe siècle. Située à l’extrémité septentrionale de Belle-Île-en-Mer (la plus fréquentée des îles du Ponant, la pointe des Poulains est un site touristique emblématique qui connaît une fréquentation touristique ancienne. Érigée en haut lieu du tourisme insulaire par les voyageurs et les romantiques dès la fin du XIXe siècle, elle est appropriée par la célèbre tragédienne Sarah Bernhardt en 1894, qui y fonde un lieu de villégiature et contribue à sa renommée.
L’essor du tourisme dans la seconde moitié du XXe siècle, et en particulier de la fréquentation excursionniste estivale, s’est accompagné d’une montée des préoccupations environnementales. Même si depuis le début des années 1970, les mesures de protection réglementaires ont été multipliées, l’absence de gestion des flux et de réflexion sur l’espace à grande échelle a engendré une «dégradation» du site dans ses dimensions «naturelle» (piétinement des pelouses littorales), mais aussi culturelle et mémorielle (abandon de la propriété de Sarah Bernhardt, détérioration du patrimoine bâti et paysager). Son acquisition récente par le Conservatoire du littoral est envisagée comme une réponse à cette contradiction et l’aboutissement d’un processus de patrimonialisation, défini ici comme la reconnaissance, par la collectivité, d’un objet ou d’un ensemble naturel, culturel ou immatériel, pour ses valeurs de témoignage et de mémoire historique, en faisant ressortir la nécessité de le protéger, de le conserver, de se l’approprier, de le mettre en valeur et de le transmettre.
Le Conservatoire du littoral vient tout récemment de mener une opération de restauration et de valorisation du site à grande échelle, en s’appuyant sur l’histoire du lieu jusqu’à présent occultée. La mise en patrimoine est en fait l’histoire même de la mise en tourisme, à travers la figure de Sarah Bernhardt et le processus de distinction du lieu auquel elle a contribué. L’analyse rétrospective sur près de deux siècles permet par ailleurs de s’interroger sur les fondements politico-idéologiques sous-jacents, car il s’agit de «vendre» aux «touristes de masse» de la fin du XXe siècle, en organisant leur fréquentation du site, le récit enchanté de la fondation du lieu par l’élite culturelle du XIXe siècle.
L’arrivée des excursionnistes à la journée au port du Palais, quai de l’Union [du nom de la compagnie l’Union bellîloise qui assure la desserte avec le continent.
L’appropriation du site par la célèbre tragédienne Sarah Bernhardt (1844-1923) contribue au processus de distinction du lieu et à la création d’un site emblématique. Lors de son premier séjour sur l’île en août 1894, elle se rend à la pointe des Poulains et en tombe immédiatement sous le charme: «La première fois que je vis Belle-Île, je la vis comme un havre, un paradis, un refuge. J’y découvris à l’extrémité la plus venteuse un fort, un endroit spécialement inaccessible, spécialement inhabitable, spécialement inconfortable et qui par conséquent m’enchanta.» Le 11 novembre de la même année, elle achète le fortin des Poulains et les terrains alentour (2,10 ha). Dès 1896 et jusqu’en 1923 — année de la mise en vente de la propriété après son décès le 26 mars 1923 — elle restera attachée à la pointe des Poulains, y établissant sa résidence de villégiature estivale.
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